Lorsque d’anciens employés se décident à faire concurrence à leur ex-employeur, la situation peut parfois devenir catastrophique pour une entreprise. Tout dépendant du statut qu’occupait l’employé, des dommages réels envisageables et du délai écoulé depuis le départ, certaines solutions palliatives s’offrent aux entreprises.

L’injonction

L’injonction est probablement le recours le plus connu et utilisé dans les cas d’infraction aux devoirs de loyauté et de non-concurrence de salariés. L’injonction est une ordonnance d’un juge enjoignant à une personne (physique ou morale) de ne pas faire, de cesser de faire ou d’accomplir un acte ou une opération déterminée, sous peine d’outrage au tribunal.

Bien que très efficace, ce recours est envisageable avec succès seulement lorsque plusieurs critères sont réunis. En effet, la jurisprudence québécoise a établi une série de considérations qui doivent être présentes afin que le tribunal accorde une injonction à l’encontre d’anciens employés.


Critères pour l’émission d’une ordonnance d’injonction

  • i) Apparence de droits :
    Dans les situations problématiques où l’on se trouve avec un ancien employé qui concurrence de façon déloyale son ex-employeur ou qui sollicite directement la clientèle, les tribunaux ont adoptés une approche en deux étapes pour voir s’il a y apparence de droits en faveur de l’employeur.1) La 1ière étape consiste à voir si le contrat d’emploi contient une clause de non- concurrence ou de non-sollicitation. Si oui, sous réserves que cette clause soit valide (durée raisonnable, territoire raisonnable, protection des intérêts légitime de l’employeur), le tribunal reconnaît alors que la présence de cette clause est un élément démontrant une apparence de droit en faveur de l’ex-employeur.2) S’il n’y a pas de telles clauses dans le contrat d’emploi ou s’il n’y a pas de contrat d’emploi, alors le tribunal doit évaluer si les faits présentés devant lui constituent une apparence de droits de l’employeur en vertu de l’article 2088 C.c.Q. Le degré hiérarchique du poste qu’avait l’ancien employé, l’accès à l’information confidentielle et stratégique, la nature de la concurrence maintenant effectuée, la méthode de sollicitation de la clientèle sont parmi les éléments les plus importants. Il faut garder en tête que les listes papiers ou électroniques des clients appartiennent à l’employeur, mais rien ne peut légalement empêcher un consommateur de faire affaire avec l’entreprise ou la personne de son choix. La clientèle n’est donc pas exclusive dans la plupart des cas. Ex : La sollicitation par le journal a été reconnue légale dans plusieurs cas alors que l’envoi postal de prospectus invitant les clients à résilier leur contrat avec l’ex-employeur fut considéré comme déloyal. Ex : D’ex-employés qui fournissent de fausses informations concernant leur ancien employeur afin d’attirer la clientèle fût considéré comme étant déloyal.
  • ii) Prépondérance des inconvénients :
    Avant d’émettre une injonction enjoignant à un ancien employé de cesser de concurrencer et de solliciter la clientèle, le tribunal fait une évaluation de la balance des inconvénients. L’évaluation porte alors sur les avantages et inconvénients, sur chacune des parties, de l’émission d’une injonction. Lorsque l’ancien employeur établit par une preuve prépondérante que son chiffre d’affaires à diminué énormément, que plusieurs clients habituels ont déserté, que des contrats déjà négociés sont en périls depuis le début des agissements de l’ex- employé, alors le tribunal en arrive souvent à la conclusion qu’une injonction doit être accordée. Le risque de préjudice sérieux ou irréparable est évalué selon divers critères. Selon certains auteurs :  «La jurisprudence reconnaît généralement que la compensation en dommages et intérêts pour la perte de clientèle est un recours insatisfaisant et aléatoire parce que le dommages est difficilement mesurable de telle sorte qu’il devient irréparable» .Un arrêt de la Cour d’appel du Québec mentionnait à cet effet :  «La balance des inconvénients et la question du préjudice subi favoriseraient également l’appelante, car la perte d’une clientèle déjà acquise est un désavantage plus grand pour l’employeur que l’interdiction pour l’ex-employé de solliciter cette clientèle pendant un certain temps. De plus, la perte d’une clientèle est difficilement compensable en argent à moins qu’une clause pénale n’ait été stipulée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. ». Par contre, si la preuve d’impact négatif sur l’employeur est plus ou moins forte, qu’il n’y a pas de preuve accablante de mauvaise foi de l’employé et que l’injonction aurait pour effet d’empêcher une personne de travailler, la Cour refuse alors habituellement l’injonction, sous réserves des dommages et intérêts qui pourront être récupérés lors du procès final au fond.
  • iii) Délai écoulé depuis le début du comportement de l’ex-employé :
    L’injonction est un recours ayant un caractère d’urgence. De façon pratique, on demande l’émission d’une ordonnance d’injonction au moment de la présentation de la requête introductive d’instance. On doit joindre à nos procédures un affidavit détaillé expliquant que les critères nécessaires à l’émission d’une injonction sont tous présents dans le dossier. Lorsque l’injonction interlocutoire est accordée, elle est généralement valide jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur le fond du dossier. Les tribunaux sont très sévères sur le facteur  » écoulement du temps  » dans le dossier soumis. L’injonction sera habituellement refusée si la concurrence de l’ex-employé dure depuis déjà quelques temps, et que l’entreprise initiale attendait de voir s’il y aurait effectivement des dommages. Cette attitude de la Cour est reliée au fait que le devoir de non-concurrence et de loyauté de l’ancien employé n’est pas à perpétuité mais bien restreint dans le temps à partir du départ de l’emploi.

Les facteurs énumérés précédemment sont cumulatifs et doivent donc être tous présents pour espérer obtenir une injonction. L’octroi d’une injonction par les tribunaux demeure tout de même une décision à la discrétion du tribunal, si le juge considère que d’autres moyens (ex : poursuite en dommages seulement) sont suffisants pour protéger le droit des parties.


Le recours en dommages et intérêts

Il existe de nombreux cas où les critères d’émission d’un ordonnance d’injonction ne sont pas tous présents. L’employeur qui subit un préjudice suite à une conduite déloyale d’un ancien employé peut tout de même entreprendre une poursuite en dommages et intérêts devant les tribunaux.

L’impact d’un tel recours est moins frappant que l’injonction puisque l’employé peut continuer à agir durant la durée des procédures.

Si l’entreprise « victime » évalue ses dommages à un montant inférieur à 85 000,00$, l’action sera intentée devant la Cour du Québec. Dès que le montant est supérieur à 85 000,00$, c’est la Cour Supérieure du Québec qui a juridiction pour entendre le litige. Peut importe la juridiction, une durée d’environ un an à un an et demi doit être prévue avant qu’un juge entende le fond du dossier.


Critères pour réussir une poursuite en dommages et intérêts

  • i) Faute :
    Il faut que l’ex-employé poursuivi ait commis une faute au sens de la loi. Le juge déterminera selon la prépondérance des preuves offertes si l’employé a effectivement agi de façon fautive et déloyale. La Cour évaluera le contrat d’emploi, les normes prévues à la loi, la preuve des agissements, le domaine commercial, le statut de l’employé, etc.
  • ii) Dommages :
    L’employeur qui intente un recours en dommages et intérêts doit être en mesure de faire la preuve du préjudice qu’il subit. Le seul comportement de l’ancien employé n’est pas suffisant pour obtenir une compensation. Il faut par exemple, prouver que le chiffre d’affaires a diminué à cause des agissements déloyaux (ex : témoignages de clients ayant été sollicités). Prouver que des informations confidentielles ont été divulguées causant des préjudices précis. L’employeur devra aussi démontrer qu’il a minimisé ses dommages et que sa conduite n’a pas été passive. Ex : Ne pas remplacer l’employé démissionnaire alors que la rentabilité de l’entreprise dépend de ce facteur fut considéré comme une conduite non-diligente.
  • iii) Lien de causalité :
    L’employeur devra démontrer un lien entre la faute de l’ex-employé et les dommages subis par l’entreprise. À titre d’exemple, les tribunaux sont réticents à établir un lien de causalité dans les cas où le domaine commercial est très compétitif et qu’il est usuel que le chiffre d’affaires varie en fonction des clients.

Conclusion

La détermination de la procédure appropriée et ses chances de succès doivent être examinées par un professionnel du droit. Nous sommes d’avis qu’une opinion juridique écrite est bien souvent la première étape à franchir. L’opinion juridique portera nécessairement sur les critères du droit mais elle tiendra aussi compte des aspects factuels du dossier qui devraient influencer la décision finale.